Au commencement était le… DEFI

Au commencement était le… DEFI

Au début, il y avait des chiffres qui sonnaient comme des alertes : des amphithéâtres surchargés, des salles de classe trop exiguës, trop peu de manuels, trop peu d’enseignants formés, des connexions internet hésitantes, et des cohortes de jeunes diplômés sans passerelles vers l’emploi. Une décennie de crise avait engorgé les universités ; l’économie, pourtant dynamique, n’offrait pas encore assez de métiers décents aux jeunes. Au commencement, c’était cela : un pays qui progresse vite, mais à qui il manque un chaînon essentiel : aligner l’éducation, la formation et l’emploi.

C’est dans ce moment charnière qu’est né DEFI : un pari lucide et ambitieux, posé par l’État de Côte d’Ivoire avec l’appui de la coopération française, pour reconstruire les passerelles, requalifier les filières, moderniser les établissements, et surtout, remettre les jeunes au centre. DEFI n’est pas qu’un programme. C’est une façon d’agir : former pour transformer.

Un cap clair : éducation–formation–emploi

En juillet 2017, la feuille de route de la coopération franco-ivoirienne fixe trois priorités, dont un pilier majeur : le triptyque éducation–formation–emploi. Depuis 2013, l’effort engagé vise à élargir l’accès à une éducation de qualité, renforcer la formation professionnelle et accélérer l’insertion des jeunes vers des emplois décents. L’approche est systémique :

  • Éducation de base : accès et qualité, avec une attention particulière aux populations marginalisées et aux filles en milieu rural, adossée à la politique des collèges de proximité ;
  • Formation professionnelle : réforme du système avec une implication accrue du secteur privé, au national comme au local ;
  • Enseignement supérieur et recherche : réforme LMD, professionnalisation des études, digitalisation et restructuration d’institutions clefs comme l’INP-HB ;
  • Emploi et entrepreneuriat : parcours graduels d’employabilité (SCAED, THIMO, chantiers-écoles, apprentissage, stages) et d’entrepreneuriat (AGR, MPE/PME), avec la réorganisation de l’Agence Emploi Jeunes.

Les défis du départ

Les enjeux étaient immenses. Les effectifs de l’enseignement supérieur croissaient rapidement : 192 000 étudiants en 2015, avec une projection à plus de 663 000 d’ici 2030. Les universités publiques, au sortir des années de crise, étaient saturées : plus de 60 000 étudiants à l’Université Félix Houphouët-Boigny en 2014-2015 pour une capacité théorique d’environ 20 000. Les étudiantes restaient minoritaires (35 % en 2015), particulièrement sous-représentées en sciences et techniques.

Au-delà de l’accès, la qualité et la pertinence des cursus posaient question. Seuls 17 % des étudiants étaient inscrits en filières scientifiques en 2017 ; à l’autre bout de la chaîne, un quart seulement des 25–34 ans diplômés du secondaire ou du supérieur accédaient à un emploi qualifié (RESEN 2016). Les conditions d’études étaient souvent dégradées : logements insuffisants, bibliothèques sous-dotées, faiblesse du numérique. Côté financement, l’effort public équivalait à 1,2 % du PIB pour l’ESRS en 2014 (soit 5,5 % du budget national), encore en deçà des besoins d’une massification réussie.

Sur l’emploi, le décalage aspirations/offres fragilisait l’atterrissage des jeunes : un tiers des 15–24 ans visaient la fonction publique (2 % des nouveaux emplois), tandis que l’agriculture — un tiers des créations d’emplois — n’attirait que 7 % des jeunes. Les femmes, plus encore, étaient pénalisées par des freins d’accès aux formations, des stéréotypes de genre et un accès difficile au crédit.

La réponse structurée : une coopération qui investit et réforme

Face à ces défis, l’État ivoirien a fixé un cap ambitieux (PND 2021-2025 et Plans sectoriels) : élever l’employabilité, professionnaliser les parcours, territorialiser l’offre, renforcer le numérique, consolider la gouvernance. La coopération française, via l’AFD, s’y est arrimée avec constance.

Dans l’enseignement supérieur et la recherche, l’AFD intervient depuis 2013 à hauteur cumulée de 171,9 M€, au travers des C2D 1-2-3 et de prêts souverains (ACE Impact, DEFI 3 : 18,7 M€ et 21,1 M€). L’action s’organise autour de trois axes :

  1. Accès et infrastructures (réhabilitations, équipements, résidences, bibliothèques) ;
  2. Qualité et pertinence (rénovations curriculaires, modernisation des équipements, formation des enseignants-chercheurs, digitalisation, MOOC, FabLabs) ;
  3. Gouvernance (plans stratégiques d’universités, nouvelles modalités de pilotage, réforme statutaire de l’INP-HB).

Dans l’éducation de base, DEFI a impulsé un passage d’échelle inédit des collèges de proximité et l’amélioration de la formation initiale et continue des enseignants (CAFOP, IFADEM), la distribution massive de manuels scolaires (BONAMAS) et le déploiement d’outils pour optimiser la gestion de la ressource enseignante (CODIPOST).

Dans l’enseignement technique et la formation professionnelle, l’action a combiné lycées sectoriels (Yopougon, Daoukro, Botro), rénovation des plateaux techniques, référentiels de compétences co-construits avec les branches, formation des formateurs, apprentissage et VAE, tout en structurant la gouvernance avec 13 branches professionnelles et une relation renforcée écoles–entreprises.

Côté emploi des jeunes, le portefeuille C2D a soutenu des dispositifs massifs et graduels (THIMO, chantiers-écoles, stages, apprentissage), l’entrepreneuriat (AGR, MPE, AVEC, Cellule Initiative), le service civique (SCAED, volontariats), la montée en puissance de l’AEJ, et la maîtrise d’ouvrage déléguée aux régions pour mieux coller aux réalités territoriales.